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Théâtre en Normandie

Au CDN, le « double-je » du dandy des poubelles

11 Octobre 2016 , Rédigé par François Vicaire

Au CDN, le « double-je » du dandy des poubelles

Ce spectacle que présentait le CDN aux Deux-Rives est une immersion dans un monde qui se débarrasse chaque jour de ses trop-pleins de consommation et se réveille au rythme de la benne à ordures qui fracasse le silence des petits matins.

Que sait-on en réalité de ceux qui dans une agitation fébrile, réglée comme une chorégraphie, passent leurs nuits à redonner à la grand ville l'image aseptisée que l'on attend d'elle ?

Personne n'avait encore cherché jusque-là à démonter le mécanisme implacable dans lequel ceux qu'on appelle les éboueurs d'une manière péjorative assument une vie parallèle qui relève d'un « quotidien » tellement habituel qu'on finit par ne plus les voir... sauf quand leur travail crée des embouteillages !

Baignant dans les senteurs indistinctes d'un périple immuable, ces hommes portent un regard différent sur une ville qui leur appartient tous les soirs et dont ils surprennent l'intimité jusqu'à ce qu'elle disparaisse dans les volutes blanches d'une usine d'incinération survolée par le ballet des mouettes citadines.

Le roman de Frédéric Ciriez « Melo » s'en est approché avec une grande justesse à travers le personnage de Parfait, un congolais dont l'humour et un lumineux sens de l'observation lui permettent de prendre ses distances avec un monde qu'il regarde sans se faire trop d'illusions mais sans plonger pour autant dans le misérabilisme.

L'idée répond assez aux préoccupations de notre temps pour que David Bobée s'en soit emparé et fasse la démonstration évidente de cette difficulté de vie sans tomber dans le réquisitoire. Dans un univers qu'il a construit à partir de projections et bandes-son (superbes), il offre à Marc Agbedjidji un très beau rôle dans lequel le comédien joue avec les facettes contrastées d'un « double-je » parfaitement composé.

Car, une fois qu'il a abandonné son uniforme d'employé de la voirie, Parfait change de peau. Il se débarrasse des scories qui, au propre comme au figuré, encombrent sa vie.
Le fantasme repousse alors les murs de son petit appartement. L'opulence (la Rolls), le désir (la prostituée Anastasia avec laquelle il s'invente des amours « russo-congolaises »), la reconnaissance du boulevard sur lequel il se pavane, passent par une métamorphose qui le transforme en dandy et affirme dans le soin qu'il apporte à son extérieur la nécessité d'être enfin lui-même.

Progressivement, le propos bascule. De la description clinique d'un état on en vient à son analyse. Le discours prend un tour plus politique et derrière les pirouettes affleurent les interrogations, les doutes, les désillusions.

Mais Parfait et son acolyte – l'excellent Marius Moguiba à la présence bondissante - ne se départissent jamais de cette tonalité bonhomme et foncièrement optimiste auquel le peuple africain sait alimenter son imaginaire pour lui permettre de vivre mieux.

Une belle leçon de chose qui est aussi, et surtout, une belle leçon de vie orchestrée admirablement par David Bobée qui amène les êtres à se montrer tels qu'ils sont et tels, hélas, qu'on ne les voit pas toujours.

Photo :Arnaud Berterau – Agence Mona

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