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Théâtre en Normandie

Sallaberger à la Chapelle : Tracer les chemins de la témérité

21 Avril 2016 , Rédigé par François Vicaire

Sallaberger à la Chapelle : Tracer les chemins de la témérité

A toutes les qualités qu'elle a – et Dieu sait s'il elle en a – on peut reconnaître à la Chapelle du Lycée Corneille celle de s'adapter parfaitement à la musique de chambre. On pouvait redouter que dans ce grand vaisseau, les beautés intimistes aient du mal à s'imposer. Il n'en est rien. Jusque-là ce style de musique avait du mal à trouver sa place à Rouen faute de l'écrin qui lui manquait même si Saint-Croix des Pelletiers, tombée dans une douloureuse déshérence s'y substitua longtemps. C'est maintenant chose faite. Raison de plus pour ne pas y faire n'importe quoi.

Le second concert que présentait tout dernièrement « La Maison illuminée » a été la parfaite concrétisation d'une utilisation intelligente des lieux et de sa parfaite acoustique.

Rarement doit-on dire, on a réuni un si nombreux public pour des programmations qui sans être totalement ardues ne sont pas d'une grande facilité d'accès, du moins pour certaines œuvres. La preuve en était le long quatuor à cordes de John Cage qui déploie des beautés répétitives et sévères qui aurait pu plomber l'ambiance si la qualité des interprètes et leur capacité à instaurer un climat de toute intériorité n'avaient capté l'intérêt d'une manière particulièrement soutenue.

Pour cette soirée Oswald Sallaberger avait conçu une promenade dans ce New-York des années folles qu'affectionna Marcel Duchamp.

Un parcours allant de Satie à Bartok en passant par Roussel, Dvorak, Gershwin et Jean Wiener.

Le maître d'Arcueil y tenait une place de choix et il était intéressant d'entendre combien son inspiration débridée pouvait rejoindre, dans l'esprit, celle de Scott Joplin comme dans le célèbre ragtime emblématique du film « l'Arnaque » auquel il a imprimé sa marque.

Et tout naturellement c'est Philippe Davenet, grand spécialiste du compositeur, qui en fut l'interprète avec deux « Pièces froides » dont l'exubérance du titre ne dit pas l'élégante retenue, la pudeur et la parfaite beauté mélodique d'une inspiration qui savait s'assagir et dépasser les pochades de potaches (pardon pour l'allitération) dont Satie se faisait un bonheur d'amuser le bourgeois. Davenet avait dans ce programme une place importante à tenir et il la tint avec la maîtrise qu'on lui connaît. Depuis Roussel chez qui la gravité dissimule des tentations romantiques qui surgissent au détour de ses compositions jusqu'à la curieuse suite pour « Toy piano » de John Cage qui permet au musicien de faire un délicieux retour à l'enfance (ce qui manifestement n'était pas pour lui déplaire), il restitue toutes les subtilités d'influences auxquelles s'alimentèrent les musiciens du temps. Il en est ainsi du concerto américain de Jean Wiener dont les élégances balancées sont pétries de références qu'il faut aller chercher chez Ravel quand ce n'est pas chez Poulenc.

Mais c'est l'époque qui le veut. Elle est d'une richesse qui fit prendre à la musique un tournant décisif et c'est avec une grande pertinence qu'Oswald Sallaberger a su en illustrer toutes les étapes complémentaires.

D'ailleurs Sallaberger lui-même s'est pris au jeu avec des adaptations judicieuses comme ce « Summertime » qu'il a réduit pour quintette à cordes et qui prend des couleurs d'un lyrisme racé qui rappelle que « Porgy » est un authentique opéra.

Et c'est bien d'élégance qu'il faut parler pour les musiciens réunis pour cette soirée. Olivia Hughes, Mathilde Ricque, Thibault Leroy, Joseph Carver et, bien sûr, Philippe Davenet ont montré, avec Sallaberger lui-même, de grandes et solides qualités d'ensemble, de musicalité et de virtuosité, particulièrement, dans les pièces pour violon de Bartok (qui font penser à ses admirables « Portraits » pour violon seul) par Oswald Sallaberger et Olivia Hughes.

Il fallait une grande culture musicale – ce dont on ne peut s'étonner – et une certaine audace à Oswald Sallaberger pour monter une programmation, sinon difficile, du moins marquée par une volonté de sortir des sentiers battus et tracer les chemins de la témérité que le public s'est empressé de suivre avec bonheur.

Photo Eric Peltier

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