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Théâtre en Normandie

La Normandie de Bernardin de Saint-Pierre

18 Avril 2015 , Rédigé par François Vicaire

La Normandie de Bernardin de Saint-Pierre

Il y a un dieu pour les chercheurs .

C'est en tout cas ce dont est convaincu Gérard Pouchain. En attente à la Bibliothèque Nationale de documents concernant Juliette Drouet qui est sa compagne préférée (en littérature), il tomba par hasard sur des maroquins dormant sur des rayonnages et qui n'étaient autres que les carnets d'un voyage que fit Bernardin de Saint-Pierre en Normandie en 1775.

Ce fut une révélation. En effet, ces carnets, totalement inédits, offrent un nouveau regard sur le père de « Paul et Virginie » dont la vie fut en elle-même un roman.

A l'époque de ces carnets, il a 38 ans. De désillusions de tous ordres en projets fumeux avortés, il est ce qu'on pourrait appeler alors dans « le creux de la vague ». Il se trouve dans un dénuement moral et financier tel qu'il décide de quitter Paris. Pour autant, cet exil consenti ne le poussera pas vers les rivages lointains dont il a déjà traité dans ses voyages à l'Ile Bourbon ou au cap de Bonne-Espérannce mais plus prosaïquement dans sa Normandie natale avec pour premier objectif d'aller visiter sa sœur qui vit à Dieppe de la maigre retraite qu'il lui verse.

Ce n'est donc pas une promenade littéraire qu'il entreprend mais une sorte de retour sur lui-même, cherchant dans ce périple mené dans des chemins et des étapes de fortune des réminiscences avec sa propre jeunesse.

C'est aussi, d'une certaine manière, une exploration du monde rural normand mettant en évidence ses petits bonheurs et ses grandes misères.
Il exerce son regard tout autant sur les hommes que sur leurs manières de vivre à travers le fonctionnement d'une société déterminée par le rythme immuable de la nature.

Bernardin de Saint-Pierre s'engage donc de mars à mai 1775 dans une aventure qui va lui permettre de découvrir les conditions de vie des paysans normands. Il décrit le cadre dans lequel ils évoluent dans de brèves notes que l'on sent rassemblées le soir, sur une mauvaise table d'auberge dont il donne au passage le détail des menus qui lui sont servis et dont la frugalité est propre à ne pas encombrer les réflexions du rousseauiste que l'on devine chez lui.

Pas de littérature dans ces carnets de voyage mais des réflexions rapides, incisives, on pourrait dire sténotypées, et qui par la concision de leurs système de notations et l'acuité du regard se réfèrent à un principe véritablement encyclopédique sans jamais pourtant négliger l'humain. Ainsi à Dieppe en même temps qu'il se complaît à disserter sur les différentes sortes de poisson qu'on lui propose, il fait un parallèle entre les diverses populations qui s'y côtoient dont, en particulier, celle du Pollet qui forme véritablement une société à part ;

Et c'est tout le charme qui se dégage de ces notes qui font surgir des portraits d'une grande vivacité et qui renseignent bien sur cette société rurale de la fin du XVIII° chez qui les « lumières » ne parviennent encore qu'à demie.

Ce qui génère de belles rencontres humaines comme cette jeune bergère « légère et court vétue » qui lui sert de guide et à qui il demande si son métier ne favorise pas l'amour ou ce garçonnet de douze ans avec lequel il se met à discuter sérieusement de l'opportunité d'être ou de ne pas être riche. Il va même jusqu'à se laisser à rêver d'une duc qui lui offre une amitié improbable.

Et puis cet homme seul, pauvre, démuni ne reste pas insensible à la détresse des autres. Au contraire, il en prend sa charge, regrettant plusieurs fois de ne pas avoir les moyens de soulager les misères de ceux qu'il croise sur son chemin comme ces deux jeunes « culs nus » qui vont au presbytère voisin quémander, l'écuelle à la main, de quoi manger.

Bernardin de Saint-Pierre offre de la France de l'époque une vision qui échappe aux bergeries du Trianon et aux contes moraux de Madame de Genlis. Il va à la rencontre de la France profonde. Celle qui souffre et qui treize ans plus tard couchera sur le papier des doléances qui mettront le feu aux poudres dans les campagnes.

Gérard Pouchain qui a été emballé par ce texte le complète de notes pertinentes sur les événements et leur chronologie, sur les paysages qu'il traverse et ceux qui les peuplent.

Ses annotations sont des mines de renseignements indispensables pour mieux appréhender ce texte passionnant et la personnalité à la fois complexe et lumineuse de celui à qui on les doit.

On peut se procurer « Voyages en Normandie » aux Presses universitaires de Rouen et du Havre (purh@univ-rouen.fr)

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